Avoir une connaissance ou un proche en deuil, et ne pas savoir exactement quelle attitude adopter, quels mots employer pour lui signifier votre émotion, pour lui faire comprendre que vous êtes là si besoin sans pour autant l’envahir. En somme rester à sa place et choisir les bons mots… pas si simples. Les pistes d’Herbin Morgan, gérontopsychologue à Nantes.

“Chacun va vivre son deuil différemment. Certains vont avoir besoin de contact avec les autres. D’autres vont se renfermer sur eux-mêmes, souligne Herbin Morgan, gérontopsychologue à Nantes. Il me semble donc important de rappeler qu’il n’y pas de bonnes ou de mauvaises façons de vivre son deuil. L’important c’est de le vivre, sans le mettre au placard ou au contraire se laisser complètement submerger par lui”.  

La douleur de l’autre ne nous appartient pas

En miroir de ce propos, “une chose essentielle est à garder à l’esprit quand on est auprès de quelqu’un qui vit un deuil, c’est que la douleur peut être partagée, on peut en ressentir aussi soi-même. Mais elle ne nous appartient pas. Dans la mesure du possible, il ne faut donc pas se laisser aveugler par la douleur de l’autre ou par l’envie d’aider. Mieux vaut rester alerte face aux sensations de la personne pour ne pas l’envahir”. Et ne pas faire cas de ce que soi-même on ressent, quand bien même nous avons (presque) toutes et tous notre propre vécu du deuil. 

Quel impact cela a sur la personne quand on commence à trop l’envahir, à lui exprimer trop de souffrance ? “Le proche en deuil peut alors culpabiliser si jamais il ne sent pas aussi mal que ce que les autres lui expriment. Ou à l’inverse se demander si sa tristesse se voit au point que tout le monde se ligue à vouloir l’aider alors qu’elle je ne se sens pas si mal”.

“Ces réactions sont d’autant plus vraies quand ces ressentis vont être intériorisés, notamment à l’heure où les condoléances ne sont plus monnaie courante. “Les condoléances ont un rôle différent entre nos aînés et les générations plus jeunes, évoque à ce sujet Herbin Morgan. Nos aînés accordaient en effet beaucoup d’importance au fait d’adresser leurs condoléances car elles étaient vraiment considérées comme un acte social, religieux, à travers duquel on reconnaissait dans la communauté le passage de quelqu’un dans l’au-delà, au paradis, en fonction des croyances auxquelles les personnes pouvaient se rattacher. Dans les générations actuelles, les personnes peuvent être désolées pour vous mais les condoléances formelles sont plus rares. Comme les choses sont moins ritualisées, elles laissent place à plus d’émotions”. Avec un risque que ces émotions prennent trop de place.

Poser ses limites contre l’excès d’empathie

En étant trop empathique, la personne en face de vous peut éprouver “de la colère, de l’incompréhension. Elle va être très affectée donc pas forcément en capacité d’avoir un discernement raisonnable.”. C’est particulièrement le cas quand “un aidant qui a géré beaucoup de choses seul dans la maladie du défunt et qui revoit certaines personnes, qui s’étaient éloignées, revenir avec beaucoup d’empathie”. 

Et quand il s’agit d’une personne moins proche, l’excès d’empathie va pousser la personne “à se demander pourquoi la personne que l’on ne connaît pas si bien va mettre autant d’empathie ou d’attention”. 

Comment alors se protéger le plus possible de ces excès d’empathie ? “Sans forcément être agressif ou réagir de façon intempestive, il s’agit de poser ses limites”, répond Herbin Morgan. En disant : “j’ai besoin de telle chose, tu peux me l’apporter mais je n’ai pas besoin de plus ”.

Des phrases qui ne sont pas forcément faciles à prononcer, “notamment lorsqu’un jeune perd un proche de façon soudaine et inattendue, un ami par exemple, et qu’il se trouve subitement confronté à sa propre mortalité avec souvent un fort sentiment d’injustice. Le parent peut alors avoir une réaction inappropriée car il ne comprend pas que son enfant ressent des choses aussi profondes que cela”, atteste Herbin Morgan. 

D’autres termes seraient-ils à éviter ? “Les défauts du défunt évidemment ne sont pas à évoquer dans ces moments-là, même si la situation se présente, même si l’on fait preuve de tact”, assure Herbin Morgan.

Le plus important, ce n’est pas forcément de “trouver un mot ou une formulation un peu automatique, mais plutôt d’être là avec la personne sans forcément le verbaliser, mais en étant là, en proposant son aide, en respectant ses propres limites. Le fait d’être ensemble est souvent plus important que les mots.”

Ce qui fait le plus de bien

Au-delà de la présence, “ce qui fait le plus de bien, c’est de lui faire sentir que la vie de la personne ne s’arrête pas. Et que le défunt reste vivant à travers la mémoire qu’il a laissée. C’est de revenir sur les bons souvenirs, sur les marques positives que la personne a laissées. Comme une immortalité à travers la mémoire. C’est une manière humaine de donner du sens aux choses.”

Et la phrase “bon courage”, peut-elle être mal prise ? “C’est la phrase qui vient quand l’on se sent démuni et que la personne qui la prononce a la sensation de donner au moins ça, répond Herbin Morgan. Pour autant ce n’est peut-être pas la peine de la dire à chaque fois, comme il est inutile de la taire absolument. Mais peut-être plutôt dire que l’on reste présent si la personne en a besoin, en fonction bien sûr de la relation que l’on a avec la personne endeuillée.”

Article écrit par Laura Bourgault 

Crédit photo: Chokniti-Studio/shutterstock.com

Source : Interview d’Herbin Morgan, gérontopsychologue à Nantes, le 7 juin 2024