Paroles, confiance, sĂ©curitĂ© affective : quelles ressources permettent aux adultes d’aider les enfants Ă  apprĂ©hender la mort et le deuil ? Comment parler de la mort aux plus jeunes d’entre nous ? Et Ă  quel point les dessins et les livres sont-ils de prĂ©cieux supports pour les aider Ă  cheminer dans cette rĂ©alitĂ© qu’est la perte d’un ĂȘtre cher ? Les rĂ©ponses de Catherine Dolto, mĂ©decin pĂ©diatre, praticienne en haptonomie et Ă©crivaine. 

Parler de la mort aux enfants peut faire peur aux grandes personnes. Quand elle s’invite dans le quotidien des tout-petits, certains adultes peinent en effet Ă  formuler les choses telles qu’elles sont, Ă  dire les mots, les vrais mots. 

Mais l’honnĂȘtetĂ© et le choix des mots vont ĂȘtre essentiels au moment d’annoncer un dĂ©cĂšs, de rĂ©pondre concrĂštement Ă  toutes les questions des plus jeunes sur la disparition d’un ĂȘtre cher, Ă  commencer par son animal de compagnie. Et l’impact est loin, trĂšs loin, d’ĂȘtre anodin. Mettre un enfant de cĂŽtĂ© en lui cachant la rĂ©alitĂ© de la mort, aussi dure soit-elle, peut ĂȘtre plus nocif que de lui exposer la rĂ©alitĂ©. Les enfants sont d’ailleurs tout Ă  fait capables de capter une information authentique, sans mĂ©taphore ni symbole. En tant qu’adulte, vous pouvez donc vous baser sur la vĂ©ritĂ©, Ă  hauteur d’enfant, quand un proche dĂ©cĂšde ou que le sujet de la mort commence Ă  l’intriguer. 

Comment je prépare mon enfant à vivre les épreuves de la vie ?

Et cette position de vĂ©ritĂ© nourrit toute la relation qui lie les adultes aux enfants. “Il n’y a pas de vie sans mort, il n’y a pas de vie sans Ă©preuve. L’adulte doit toujours avoir en arriĂšre fond la question suivante : comment je prĂ©pare mon enfant Ă  vivre les Ă©preuves de la vie, que ce soit la mort, les Ă©checs, les accidents de la vie ?” Personne n’a la panoplie complĂšte pour y rĂ©pondre, mais les piliers sont :

  • “la sĂ©curitĂ© affective, c’est Ă  dire trouver quelqu’un Ă  qui parler de la mort, du deuil, dire Ă  l’enfant que vous ĂȘtes lĂ , qu’il n’est pas tout seul” pour traverser cette Ă©preuve.
  • “la comprĂ©hension par la parole et les mots en trouvant la bonne distance pour intĂ©grer les changements suite au dĂ©cĂšs d’un proche, et continuer Ă  vivre, Ă  aimer la vie”.

La sĂ©curitĂ© affective et la comprĂ©hension de ce que traverse l’enfant vont ĂȘtre importantes “pendant l’enfance, une pĂ©riode oĂč beaucoup de choses se passent en sous-terrain, et resurgissent plus tard dans la vie” si elles ne sont jamais dites. 

La vérité, pas forcément toute la vérité

La difficultĂ© dans un premier temps pour parler de la mort d’un proche, “c’est de saisir que ce n’est pas du tout la mĂȘme chose Ă  3 ans, Ă  7 ans, Ă  10 ans, souligne Catherine Dolto. Le dĂ©veloppement de l’enfant et de son cerveau diffĂšrent selon les Ăąges. Mais quelque-part, le discours reste toujours le mĂȘme pour introduire la notion de mort, et pour cela j’utilise toujours une formulation que je tiens de ma mĂšre*, qui est trĂšs apaisante pour les enfants : on ne meurt que quand on a fini de vivre”. Une phrase simple et claire qui parle aux petits, et aux plus grands. 

“Dire le vrai ce n’est pas forcĂ©ment dire tout de la vĂ©ritĂ©, n’importe comment et n’importe quand”, Catherine Dolto, mĂ©decin pĂ©diatre et Ă©crivaine

Si un adulte doit parler de la mort Ă  un enfant, je conseille donc de “dire le vrai et dire ce que l’on fait avec les restes du mort. Cette question est trĂšs intrigante pour les petits qui sont trĂšs pragmatiques et qui ont besoin de savoir, souligne Catherine Dolto. Mais dire le vrai ce n’est pas forcĂ©ment dire tout de la vĂ©ritĂ©, n’importe comment et n’importe quand.” L’adulte pourra donc se concentrer sur le fait de dire des choses justes sans forcĂ©ment raconter tous les dĂ©tails Ă  l’enfant.  

“Dire des choses vraies Ă  un enfant a un effet thĂ©rapeutique.”

D’ailleurs, “quand nous disons des choses vraies Ă  un enfant, ça Ă  un effet thĂ©rapeutique. Il sent qu’il est considĂ©rĂ© comme un sujet, qu’il est capable de comprendre le sens puisque l’on s’adresse Ă  lui.” C’est dans ce contexte que le dĂ©veloppement de l’enfant se fait bien, “lorsqu’il sent de la confiance et du soutien de la part des adultes qu’ils l’entourent”. Autant de raisons pour lesquelles il est bon de “parler aux enfants en leur disant des vrais mots, de se mettre Ă  sa place”. 

Le b.a.-ba des phrases Ă  adresser aux enfants

Bien sĂ»r, on ne s’adresse pas Ă  un petit comme on s’adresse Ă  un adolescent ou Ă  un adulte. Pas plus que nous avons Ă  leur cacher la vĂ©ritĂ©. “Beaucoup de parents surprotĂšgent leur enfant, projettent leurs propres fragilitĂ©s sur leur enfant. On passe en effet notre temps, nous les adultes, Ă  projeter sur les enfants ce que nous sommes. Or un enfant et un adulte ce n’est pas la mĂȘme chose. Bien sĂ»r toute l’intelligence est lĂ  chez l’enfant, dĂšs la naissance, mais il n’y a pas l’expĂ©rience, il n’y a pas la mĂȘme maĂźtrise du langage, la mĂȘme capacitĂ© de mettre les choses Ă  distance comme un adulte”.

Comment alors leur parler ? 

  • “Chez les tout-petits, c’est bien d’attendre que les questions viennent”, poursuit Catherine Dolto. Et s’il ne pose aucune question ? “On peut lui suggĂ©rer certains points, en lui demandant s’il a envie de savoir”, par exemple “OĂč va le corps de papi ?” A sa rĂ©action, l’adulte voit bien si l’enfant est curieux ou prĂ©fĂšre ne pas en entendre plus. 
  • Pour rĂ©pondre Ă  la question “c’est quoi la mort ?”, nous pouvons dire Ă  l’enfant que “ce qu’il reste de la personne, c’est sa forme humaine, dĂ©crit Catherine Dolto. Qu’il n’est plus lĂ , qu’il a fini de vivre, qu’il ne reviendra plus jamais, qu’il n’y a plus que les restes de son corps, que ce n’est plus lui et que c’est pour cela que l’on va l’honorer ”. Ces phrases, assez directes, “permettent Ă  l’enfant de comprendre que le corps est une enveloppe, une forme humaine que l’on investit en naissant. Et puis quand elle ne peut plus  fonctionner, on la quitte”. 
  • “Je conseille aussi d’éviter la phrase ‘Il est parti’”, poursuit Catherine Dolto. J’ai vu trop d’enfants en consultation, traumatisĂ©s parce qu’on leur a dit que le dĂ©funt Ă©tait parti et qu’ils attendaient encore qu’il revienne, en pensant souvent que s’il Ă©tait parti, c’était parce que l’enfant avait fait quelque chose de mal, parce qu’il n’était pas beau”, tĂ©moigne Catherine Dolto. “La vraie phrase, complĂšte, serait ‘il est parti pour un autre monde’. Mais elle ne va que pour les personnes qui croient en un monde aprĂšs la mort. Cette phrase ‘Il est parti’, tout comme ‘il est au ciel’ d’ailleurs, doit rester rĂ©servĂ©e aux adultes. Si l’on est chrĂ©tien par exemple, on peut dire que son Ăąme est au ciel, mais pas lui”.
  • “Leur dire que l’amour ne meurt pas, que les morts restent vivants dans notre cƓur, en nous, que ce que l’on a reçu d’elle, que ce n’est que le corps qui meurt, qu’il peut aller puiser dans ses souvenirs avec cette personne, lire les livres qu’il lisait avec elle. C’est une façon de transformer les fantĂŽmes en bonnes fĂ©es”.
  • “Lui expliquer que ‘dormir ce n’est pas mourir’, surtout aux enfants qui ont vu le dĂ©funt sur son lit de mort, qui dans le meilleur des cas Ă  l’air de dormir”. Une association qui peut engendrer des troubles du sommeil.
  • Bien dire Ă  l’enfant “que la personne dĂ©cĂ©dĂ©e ne l’a pas abandonnĂ©â€.

De façon gĂ©nĂ©rale, “il est important d’ĂȘtre au plus prĂȘt de la vĂ©ritĂ© en regardant bien l’enfant dans les yeux, en ayant bien en tĂȘte que ce qu’on lui dit fait image, amĂšne des images Ă  se former dans sa tĂȘte”. Et quand le message ne semble pas passer ? “Quand on parle Ă  un enfant, en effet, on voit parfois dans ses yeux qu’il n’a rien compris, ou que vos propos l’envoient sur des choses lointaines, abstraites. LĂ , il faut revenir sur ce qui a Ă©tĂ© dit, reformuler les choses diffĂ©remment.”

Parler, mĂȘme aux bĂ©bĂ©s

Et doit-on parler de la mort aux bĂ©bĂ©s, aux enfants de moins de 3 ans ? “A ce sujet, je pense que personne ne peut savoir ce qu’un bĂ©bĂ© peut comprendre, rĂ©pond Catherine Dolto qui connaĂźt, accompagne les enfants et leur Ă©crit des livres. Le dĂ©bat sur ‘pourquoi il faut parler ou non aux bĂ©bĂ©s’ est, pour moi, inepte. Le cerveau de l’enfant est fait pour parler. DĂšs sa vie prĂ©natale, il est dans le bain, il perçoit les vibrations et entend les modulations des voix. Ensuite, dĂšs que l’enfant naĂźt, le bĂ©bĂ© est un joueur de poker, il cherche tout le temps Ă  comprendre les rĂšgles du jeu. Pour la parole, c’est la mĂȘme chose. Il est donc essentiel de leur parler, mĂȘme s’ils sont encore petits et ne maĂźtrisent pas le langage”. 

Nous savons que “l’enfant comprend ce qu’il se passe autour de lui bien avant de pouvoir parler. Pour aller plus loin, “je dirai mĂȘme que “les bĂ©bĂ©s ont l’entendement du sens  de ce qui est dit quand on leur parle avec la certitude que l’on s’adresse Ă  eux comme Ă  des ĂȘtres intelligents”.

Une question d’égo
 sans culpabilisation Ă  avoir

Autre point : “les enfants naissent totalement Ă©gocentrĂ©s, et c’est normal, prolonge Catherine Dolto. Tout le processus Ă©ducatif est une dĂ©sĂ©gocentrisation”. 

Cette notion d’ego va entrer en ligne de compte lorsque l’enfant va vivre un deuil. “Cette perte va provoquer un remaniement extrĂȘme et rapide chez l’enfant. Et pour les plus jeunes, centrĂ©s sur le quotidien, les premiĂšres questions qui vont venir sont souvent d’ordre pratique et pragmatique, mĂȘme s’ils aiment beaucoup la personne qui est dĂ©cĂ©dĂ©e : ‘Qui viendra me chercher Ă  l’école ? Et qui fera mon goĂ»ter ?’. Ce n’est pas de l’égoĂŻsme comme celui que l’on associe Ă  l’adulte, et il ne faut surtout pas les culpabiliser. C’est tout Ă  fait normal, c’est mĂȘme trĂšs sain, ça fait d’ailleurs partie de la sĂ©curitĂ© affective qui est aussi faite de choses matĂ©rielles oĂč l’enfant a besoin de savoir qui va s’occuper de lui.”

Quand consulter ?

Les parents ne sont pas les seules personnes Ă  pouvoir accompagner les enfants dans la comprĂ©hension de la mort et le vĂ©cu d’un deuil. Des adultes rĂ©fĂ©rents, issus du cercle familial ou amical, peuvent aussi intervenir naturellement s’ils entretiennent un lien de proximitĂ© avec l’enfant. Souvent les plus jeunes savent vers quelle(s) personne(s) de confiance se tourner, et vice versa, et les choses se font d’elles-mĂȘmes. 

Quand des professionnels de la santĂ© ? “Aujourd’hui, on a tendance Ă  penser que tout chagrin est dĂ©pressif, atteste Catherine Dolto. Mais non ce n’est pas la mĂȘme chose. Avoir du chagrin, c’est normal, ça va nous modifier, nous occuper un certain temps.” Cette tristesse peut ĂȘtre lourde Ă  porter et nĂ©cessite parfois de consulter un spĂ©cialiste de la petite enfance, pĂ©diatre ou pĂ©dopsychiatre. Comment savoir si l’enfant a besoin de voir quelqu’un ? 

  • “Quand il s’agit de la mort d’un adulte, on consulte quand on voit que l’enfant est trop dĂ©rangĂ© 3 semaines aprĂšs le dĂ©cĂšs, dans ce qu’il a Ă  faire de sa vie, Ă  l’école, en famille, avec ses amis, dĂ©crit Catherine Dolto. Ou encore si l’enfant est colĂ©rique, et/ou qui se met en Ă©chec, car ce peut ĂȘtre le signe d’une grande tristesse ou d’une dĂ©pression. Ce dĂ©rangement peut ĂȘtre d’autant plus aigu si les adultes autour de l’enfant n’arrivent pas eux-mĂȘmes Ă  faire leur deuil”. Dans ce cas, la consultation sera plus adressĂ©e aux parents.
  • Quand il s’agit de la mort d’un frĂšre ou d’une sƓur, “cela vaut le coup de donner l’occasion Ă  l’enfant de parler une fois ou deux, seul, Ă  quelqu’un”. Pour quelles raisons prĂ©cises ? “Dans les fratries, il y a des tensions, des disputes, des vƓux de mort de l’autre, de la jalousie” : tout un panel d’émotions vives qui “peuvent rĂ©veiller de la culpabilitĂ©, un poison trĂšs violent. Il suffit parfois de l’écouter, de lui parler, de voir ce qu’il fait en pĂąte Ă  modeler, avec quelqu’un qui ne va pas le juger. Cette parole aide l’enfant Ă  dĂ©culpabiliser, en lui rappelant bien qu’il n’a rien fait de mal.”

Dessins, livres et dédramatisation

“Tout ce qu’il ne peut ou ne veut pas dire, l’enfant va l’exprimer en dessin, en chanson. On peut lui proposer de dessiner, lui proposer de dire ce qu’il y a sur son dessin sans plaquer notre vĂ©ritĂ© de grande personne sur ce qu’il a dessinĂ©. Il est aussi important de garder ses dessins car il sera peut-ĂȘtre un jour trĂšs content de les retrouver.”

Au temps prĂ©sent, ces dessins peuvent aider l’adulte “à parler de comment l’autre nous manque, Ă  dĂ©dramatiser la mort, en reprĂ©sentant la mort comme un Ă©vĂ©nement de la vie, que l’amour permet d’en parler entre vivants. Je conseille aussi de laisser traĂźner les livres Ă  la maison, de leur raconter parfois les mĂȘmes livres pendant un mois s’ils le demandent”.

Pour aller plus loin : Catherine Dolto a publiĂ© le livre “Si on parlait de la mort” dans la collection Mine de Rien. De prĂ©cieux textes et illustrations pour choisir les bons mots et rĂ©pondre aux questions des enfants Ă  l’aide d’images. 

*Catherine Dolto est la fille de Françoise Dolto (1908-1988) célÚbre pédiatre et psychanalyste française, particuliÚrement engagée dans la pédagogie infantile

Crédit photo

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Sources

  • – Interview de Catherine Dolto, mĂ©decin pĂ©diatre, praticienne en haptonomie et Ă©crivaine, le 13 novembre 2024