A la perte d’un proche, nombre d’entre nous sommes tentĂ©s de tenir les enfants Ă©loignĂ©s des rites funĂ©raires, de peur de les exposer Ă  la rĂ©alitĂ© trop crue qu’est la mort. A quel point est-il  important, Ă  l’inverse, de leur faire une place dans toutes les phases de la perte d’un proche ? Comment rester Ă  l’écoute de leurs propres ressentis, s’ils refusent ou insistent de voir le corps et/ou d’assister Ă  la cĂ©rĂ©monie ? Les Ă©clairages de Catherine Dolto, mĂ©decin pĂ©diatre, praticienne en haptonomie et Ă©crivaine.

Quand un proche dĂ©cède, certains adultes peuvent avoir tendance Ă  ne pas convier les enfants Ă  la cĂ©rĂ©monie, encore moins Ă  la veillĂ©e mortuaire. Par peur, par rĂ©flexe, par protection. “Par reproduction de la façon dont l’adulte a Ă©tĂ© Ă©levĂ©, par transfert de l’adulte vers  l’enfant quand l’adulte a, par le passĂ©, Ă©tĂ© traumatisĂ© par quelque chose au sujet de la mort.”

Mais les enfants sont bien “plus rĂ©sistants Ă  la rĂ©alitĂ© que l’on veut bien le penser, si les choses sont amenĂ©es au bon moment, Ă  hauteur d’enfant. Ils en ont mĂŞme besoin, de la rĂ©alitĂ©, pour consolider les repères de leur petit monde en construction qu’un premier deuil va souvenir venir fragiliser”

Des rituels et ĂŞtre ensemble

Ainsi, ne pas proposer à un enfant de venir voir la personne décédée, ne pas le convier à la cérémonie revient à l’exclure d’un processus dont tous les adultes ont besoin pour accepter la mort et commencer le chemin du deuil. “Les rituels, établis pour les vivants, sont là pour amadouer la violence de la mort de quelqu’un qui était là mais qui n’est plus là, souligne Catherine Dolto. Il en faut, et de l’être ensemble également, pour humaniser cette énigme de la mort. Tous les êtres humains, à tous les âges de la vie, en ont besoin. Il est important de faire une place aux enfants dans ces rituels, s’ils le souhaitent.” Mais “nous sommes dans une époque de sur-protection générale. On écarte les enfants pour qu’ils ne soient pas traumatisés. Or je pense que c’est vraiment l’inverse qui se passe”.

Avant la mise en bière

Voir un mort reste quelque chose de fort, de singulier, de percutant. “Après le décès, le corps est froid, le visage n’a plus d’expression, c’est très interpellant. Cela reste visible pour beaucoup d’entre nous, décrit Catherine Dolto. Pour d’autres, un peu moins. Ainsi, il appartient à chacun de vouloir voir le mort une dernière fois, ou non, et ce à tous les âges de la vie. Pour un enfant en particulier, l’attention doit être portée sur leur volonté, ce qu’ils expriment à ce sujet.

Il est donc essentiel de lui faire une place lors de la veillée mortuaire, autant que de respecter son souhait s’il préfère rester éloigné de tout cela, même après avoir reçu toutes les explications sur le fait que cette rencontre est là pour voir le corps une dernière fois.

Mais comment faire, concrètement, pour aborder le sujet de la veillée mortuaire avec un enfant, sans le forcer à quoique ce soit ? Premier pas : “laisser l’enfant mûrir ses propres questions et sa position face à la mort est primordial, car ça peut vraiment être très violent”, souligne Catherine Dolto. Dans le détail, vous pouvez :

  • Lui expliquer qu’il a le droit de venir voir papi, mami… une dernière fois s’il en a envie, qu’il n’est pas obligĂ©, que s’il le veut vous serez lĂ  pour l’accompagner, lui tenir la main, sortir quand il en a envie.
  • S’il dit oui, lui dire simplement que le corps/le visage des morts n’est pas le mĂŞme que celui des vivants parce que l’oxygène/l’air ne circule plus, que le visage ne sera peut-ĂŞtre pas de la mĂŞme couleur mais que c’est normal
  • Ne le forcez pas Ă  venir voir le mort ni Ă  l’embrasser. Au sein d’une mĂŞme fratrie ou troupe de cousins, les rĂ©actions peuvent ĂŞtre très diffĂ©rentes et il est bon de s’adapter Ă  chaque enfant
  • PrĂ©voir un adulte pour accompagner l’enfant qui pourra s’en aller si la veillĂ©e dure trop longtemps et/ou qu’il a envie de sortir 
  • Lui proposer de rentrer dans la pièce de recueil, mais de rester loin du corps s’il se sent plus Ă  l’aise Ă  distance

Lui expliquer “ce que l’on va faire du corps, en lui disant que l’on va s’occuper de ses restes d’une façon digne, que l’on va l’honorer par un rituel qui peut être religieux, laïque. Le signe que nous sommes des humains”.

“Les tout-petits demandent rarement de venir voir le mort, mais si l’enfant insiste, il faut accepter tout en le préparant car ça va être très déroutant”, Catherine Dolto

Et si votre enfant vous semble vraiment trop petit pour assister Ă  la veillĂ©e mortuaire et que vous ne savez pas comment rĂ©agir ? “Les tout-petits demandent rarement de venir voir le mort, mais si vraiment l’enfant insiste beaucoup, il faut accepter en essayant de comprendre pourquoi, tout en le prĂ©parant car ça va ĂŞtre très dĂ©routant”, souligne Catherine Dolto. 

“Je peux venir à la cérémonie ?”

Et sur le fait d’emmener un enfant Ă  la cĂ©rĂ©monie ? Ils doivent y “participer, c’est une Ă©vidence”. Comment, alors, aborder ce sujet ? 

  • – Lui demander s’il a envie de venir avec tout le monde “se recueillir pour honorer le souvenir de papi, mami”… LĂ  aussi, on Ă©vitera les termes “dire au revoir Ă  papi, mami, car il ne faut pas parler de dĂ©part”, afin que l’enfant ne soit pas l’attente d’un retour de la personne. “Au revoir implique un revoir”, souligne Catherine Dolto Ă  ce sujet
  • – “Le prĂ©venir, lui expliquer le dĂ©roulĂ© de la cĂ©rĂ©monie, leur dire ce qui va se passer, quand le cercueil va entrer dans la terre ou dans le four”
  • – PrĂ©voir un adulte pour accompagner l’enfant si la cĂ©rĂ©monie est trop longue
  • – Lui demander oĂą il souhaite se placer dans la salle de cĂ©rĂ©monie ou dans l’église : s’il souhaite rester loin du cercueil ou s’il a envie de s’en approcher

Pour aller plus loin : Incipio a publié un article sur la symbolique de la mort auprès des petits : comment en parler, comment la représenter ? Vous pouvez le consulter en cliquant sur ce lien.

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Sources

  • – Interview de Catherine Dolto, mĂ©decin pĂ©diatre, praticienne en haptonomie et Ă©crivaine, le 13 novembre 2024